Me Alain Barrette

Série de vidéos éducatives sur YouTube en droit des affaires

Par : Me Émilie Chevrier

Une série de vidéos éducatives est disponible gratuitement sur YouTube sur la chaîne « Lancer en affaires » du Centre de formation professionnelle Pierre-Dupuy pour tout entrepreneur ou startup qui désire démarrer une entreprise.

Voici quelques titres disponibles :

C’est avec fierté que l’étude Barrette & Associés Avocats souligne le travail de son associé Me Jean-Sébastien Boucher qui est l’auteur et l’animateur de cette série de vidéos.

Une autre chaîne « SAJE accompagnateur » sur YouTube propose des témoignages d’entrepreneurs ainsi que des tutoriels utiles pour tous les créateurs d’entreprises. Me Boucher est présent sur cette chaîne et offre des informations juridiques gratuites dans le cadre des trois vidéos suivantes :

Me Boucher, vulgarisateur inné, est également présent sur la chaîne « Coach Alex Migneault » et donne de judicieux conseils pour les jeunes entreprises, les entreprises de cinq ans et plus ainsi que les entreprises de dix ans et plus.

Me Boucher est spécialisé en droit des affaires et donne de nombreuses conférences et formations à travers la province de Québec pour une clientèle variée d’entrepreneurs en démarrage et en croissance.

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Me Alain Barrette

IL EST URGENT DE DÉFINIR L’URGENCE

Par : Me Alain Barrette

Comment définir le critère de l’urgence dans le cadre d’une demande d’ordonnance de sauvegarde en matière d’injonction en vertu de 754.2 C.p.c. (ancien) ?

Le juge Gérard Dugré s’est fait rappeler à l’ordre par la Cour d’appel à ce sujet, dans l’affaire Tremblay c. Cast Steel Products (Canada) Ltd, 2015 QCCA 1952 (Jugement de première instance Cast Steel Products (Canada) Ltd. c. Tremblay, 2015 QCCS 3507). Dans ce dossier, Cast Steel demande l’émission d’une injonction interlocutoire pour forcer le respect d’une clause de non-sollicitation /non-concurrence contenue dans un contrat d’emploi. Elle ne requiert pas l’émission d’une ordonnance d’injonction provisoire. Par contre, voyant qu’elle ne sera pas entendue rapidement sur l’interlocutoire, elle requiert l’émission d’une ordonnance de sauvegarde pour obliger Tremblay, et son nouvel employeur V-Tech, à respecter les termes de son contrat

Le juge Dugré analyse la demande en distinguant l’ordonnance de sauvegarde de l’ordonnance d’injonction provisoire. Essentiellement ce sont les mêmes critères qui s’appliquent, à savoir l’urgence, l’apparence de droit, le préjudice irréparable et la prépondérance des inconvénients. Cependant, le critère de l’urgence s’apprécie différemment en matière d’ordonnance de sauvegarde, selon l’honorable juge. Il réduit ce critère au maintien du statu quo pendant l’instance à l’égard de toutes les parties :

[35]        Le tribunal est d’avis qu’il y a urgence de maintenir le statu quo à l’égard de toutes les parties jusqu’à l’audition de la demande d’injonction interlocutoire le 24 novembre prochain. Il reste à déterminer si les demanderesses remplissent les trois autres critères régissant l’émission d’ordonnances de sauvegarde, sur lesquels il importe maintenant de se pencher.

Son analyse s’arrête là quant à l’urgence et, procédant à l’analyse des trois autres critères, émet une ordonnance de sauvegarde obligeant Tremblay et V-Tech à ne pas contrevenir aux obligations résultant du contrat d’emploi.

La Cour d’appel casse la décision, étant d’avis que l’analyse du critère de l’urgence aurait dû être faite et ne l’a pas été. La Cour énonce :

[12]        De la même façon, s’il est vrai que la nécessité de maintenir le statu quo ou de rétablir l’équilibre entre les parties durant l’instance peut être considéré par le juge saisi d’une demande d’ordonnance de sauvegarde dans certaines circonstances, ce ne doit pas être l’occasion de court-circuiter les exigences requises pour l’émission provisoire d’une injonction interlocutoire et d’éviter les conditions d’un tel octroi, tel que le signalait le juge Delisle dans la décision Aubut c. Québec (Ministère de la Santé et des Services sociaux):

[6]        Le simple fait de signifier une procédure d’injonction n’entraîne pas le droit à des ordonnances de sauvegarde. Ce serait là court-circuiter les exigences requises pour l’émission provisoire d’une injonction interlocutoire et éviter les conditions d’un tel octroi.

[7]        Il est encore moins question de présenter tout simplement un dossier incomplet pour enclencher le droit à une ordonnance de sauvegarde.

Selon la Cour, le critère de l’urgence doit être soupesé de la même façon en ce qui concerne l’ordonnance provisoire que celle dite de sauvegarde, étant donné que dans les deux cas, le dossier est à un stade préliminaire et incomplet et n’offre pas les garanties juridiques habituelles découlant d’une audition complète. De plus, la Cour (opinion du juge Vézina) semble d’avis que la durée de l’ordonnance de sauvegarde prononcée (environ 4 mois) excède la limite de 10 jours de l’ordonnance provisoire et par conséquent serait trop longue.

Le 14 décembre 2015, suite au prononcé du jugement de la Cour d’appel, un autre jugement est rendu par la Cour supérieure dans le même dossier au sujet de l’émission, encore une fois, d’une ordonnance de sauvegarde (Cast Steel Products (Canada) Ltd. c. Tremblay, 2015 QCCS 5927 – juge Chantal Corriveau). La juge ayant le bénéfice de l’enseignement de la Cour d’appel, procède à l’analyse du critère de l’urgence. Voici comment elle fait son analyse :

[34]        Le critère d’urgence est rencontré si le Tribunal est d’avis qu’il faille protéger, durant l’instance, les droits des parties eu égard à une preuve qui demeure parcellaire.

[35]        Dans le cas sous étude, étant donné que Tremblay demandent au Tribunal de déclarer que le contrat leur est inopposable et qu’ils refusent de consentir à l’émission d’une ordonnance de sauvegarde même restreinte en présence d’un contrat actuellement en vigueur et compte tenu de l’étendue des comportements de Tremblay observés dans le présent dossier et dont il est fait état, le Tribunal conclut que le critère d’urgence est rencontré.

[36]        Il demeure actuellement urgent qu’une ordonnance, même limitée, soit prononcée afin de contraindre Tremblay à respecter les termes de son contrat de service durant sa durée. (Nous accentuons)

Or, que dit de plus la juge Corriveau que le juge Dugré concernant l’analyse du critère de l’urgence ? Rien à notre avis, ce qui met en lumière la difficulté d’analyser ce critère de façon totalement détaché des trois autres, notamment de celui de l’apparence de droit et du préjudice irréparable. Nous notons que la juge Corriveau mentionne, dans son analyse de l’urgence, l’existence d’un « contrat actuellement en vigueur », alors qu’elle reprend la même idée (par. 37) dans son analyse du droit apparent. Quant à « l’étendue des comportements de Tremblay », question analysée sous l’angle de l’urgence, elle est reprise sous l’analyse du préjudice irréparable (par. 41).

Il est à se demander si, en matière d’ordonnance de sauvegarde, le critère de l’urgence est un critère vraiment distinct de l’apparence de droit et du préjudice irréparable. Rien n’est moins sûr, d’autant plus que la Cour d’appel, quoique critique à l’endroit du juge Dugré, se garde bien de définir elle-même ce que contient spécifiquement ce critère et de quelle façon exactement l’analyse de ce critère aurait pu être faite pour conduire à un résultat différent de celui auquel le juge Dugré s’est rendu, de même incidemment et essentiellement par la juge Corriveau.

Le Nouveau Code de procédure civile ne reprend pas 754.2 C.p.c. Les ordonnances de sauvegarde, qui sont prévues à l’article 49 N.C.p.c. (ancien 46 C.p.c.), et à 158 N.C.p.c. qui se lit ainsi :

À tout moment de l’instance, le tribunal peut, à titre de mesures de gestion, prendre, d’office ou sur demande, l’une ou l’autre des décisions suivantes:

[…];

5° statuer sur les demandes particulières faites par les parties, modifier le protocole de l’instance ou autoriser ou ordonner les mesures provisionnelles ou de sauvegarde qu’il estime appropriées;

[…];

prononcer une ordonnance de sauvegarde dont la durée ne peut excéder six mois.

Reste à voir si l’analyse du critère de l’urgence, notamment en matière d’injonction, continuera de faire difficulté à l’avenir et s’il voudra dire autre chose que le maintien du statu quo pendant l’instance.

 


Sources : Tremblay c. Cast Steel Products (Canada) Ltd, 2015 QCCA 1952 et Cast Steel Products (Canada) Ltd. c. Tremblay, 2015 QCCS 3507

Me Alain Barrette

LA NÉGATION DU STATUT D’ACTIONNAIRE ENTRAÎNE LE RACHAT FORCÉ DES ACTIONS

Par : Me Alain Barrette

Monsieur Ouellet poursuit monsieur Vachon, pour faire reconnaître son statut de coactionnaire (30%) d’une compagnie, forcer le rachat de ses actions et obtenir des dommages-intérêts.

Cette histoire commence en 2011, année où Ouellet joint la compagnie alors détenue par Vachon à 100%. Cette compagnie, qui a eu un chiffre d’affaires de 277,000$ en 2010, veut accroître son marché et Ouellet est un vendeur hors pair. Il arrive d’ailleurs avec une liste de clients ainsi qu’un bon de commande au montant de 116,000$. La condition de Ouellet: devenir actionnaire dans la compagnie à hauteur de 30%, sans avoir à y investir des sommes d’argent. Les parties s’entendent et signent un document prévoyant une participation de Ouellet dans le capital-actions de la compagnie. Aucun certificat d’action n’est émis en faveur de Ouellet et les livres de la compagnie ne font pas état de son statut, ni d’ailleurs le Registre des entreprises. Ouellet a un dossier criminel et a fait faillite, ce qui explique l’absence de documents, les parties ne voulant pas nuire à la possibilité d’obtenir un financement pour la compagnie.

Ouellet se donne corps et âme dans la compagnie, ne comptant plus ses heures. Les heures supplémentaires ne sont pas rémunérées, sauf une partie, et les ventes grimpent à une somme de 1,285,000$ trois ans plus tard. Étrangement, en mai 2015, la situation se corse entre les parties, Ouellet s’étant absenté de la compagnie au déplaisir de Vachon. Après discussion et lettres d’avocat, Ouellet quitte la compagnie et demande le rachat de ses actions. Vachon lui répond qu’il n’a jamais été actionnaire de la compagnie.

La Cour retient de la preuve que Vachon présentait Ouellet comme un actionnaire de la compagnie auprès des employés et des tiers (comptable, partenaires, etc.). De plus, des documents confirment le statut de Ouellet (l’entente initiale, la carte d’affaires de Ouellet, une proposition de rupture, etc.). Dans ces circonstances, la Cour attribue à Ouellet le statut d’actionnaire, malgré l’absence d’un certificat d’actions. En effet, se basant sur l’arrêt Côté c. Côté, 2014 QCCA 388, la Cour énonce le principe qu’un certificat d’actions n’est que la preuve prima facie de l’action, un bien meuble incorporel. Par conséquent, Ouellet détenant le statut d’actionnaire, il se qualifie au sens du 3ème alinéa de l’article 439 de la Loi sur les sociétés par actions du Québec (LSAQ) pour demander un redressement pour cause d’abus.

La Cour réfère à la notion des «attentes raisonnables», reconnue en vertu de la Loi fédérale sur les sociétés par actions, et l’intègre en droit québécois. Elle conclut que Ouellet était en droit de s’attendre à la reconnaissance de son statut d’actionnaire. Vu cette conclusion, la Cour redresse la situation, par les pouvoirs conférés aux articles 450-451 LSAQ, force le rachat des actions de Ouellet (30,000$) et condamne Vachon au paiement des honoraires extrajudiciaires de Ouellet en vertu de l’article 451 al. 1 (14).

 


Source: Ouellet c. Usinage JV Tech inc., 2015 QCCS 5339 (Juge Line Samoisette, le 17 novembre 2015).

Me Alain Barrette

UNE GRILLE D’ANALYSE COMPLÈTE POUR LES REQUÊTES POUR ÊTRE RELEVÉ DU DÉFAUT D’INSCRIRE

Par : Me Alain Barrette

Une partie demanderesse demande d’être relevée de son défaut d’inscrire avant l’expiration du délai de 180 jours. La Cour supérieure refuse et la demanderesse se pourvoit en appel. La Cour d’appel (motifs du juge Robert Mainville) rejette le pourvoi en faisant une revue détaillée des principes applicables en les systématisant dans une grille d’analyse qui, souhaitons-le, servira de référence afin de répondre à toute demande en ce sens dans l’avenir. En principe, cette décision devrait être la décision phare en la matière.

L’action est signifiée le 21 mai 2012 et l’échéancier, signé le 26 juillet 2012, prévoit la production d’une inscription le 12 novembre 2012 au plus tard.

Un interrogatoire a lieu en août 2012. Quatre-vingts objections sont formulées et vingt-six engagements sont souscrits par la demanderesse. Les engagements ne seront pas fournis dans les délais prévus à l’échéancier.

La veille de la date d’expiration du délai pour inscrire, une requête en prolongation de délai est signifiée. La Cour accueille cette requête et prolonge le délai au 27 février 2013, en imposant aux parties de déposer un nouvel échéancier lors du débat sur les objections, qui aura lieu le 5 février 2013. Or, les parties ne déposent aucun échéancier et le délai pour inscrire expire sans le dépôt d’une inscription. Il y a désistement réputé (274.3 C.p.c.).

Environ 4 mois plus tard, la demanderesse fait signifier une requête en prolongation de délai. À l’audition, la demanderesse réalise son erreur procédurale et demande verbalement d’être relevée de son défaut d’inscrire. La Cour refuse mais lui accorde jusqu’au 26 juin 2013 pour faire signifier sa requête écrite, qui ne le sera finalement que le 17 juillet suivant. À son soutien, elle y allègue des modifications à son système de comptabilité et ses propres activités commerciales. Cette requête est rejetée (Juge Danielle Turcotte) vu le manque de rigueur de l’appelante et l’absence d’affidavit d’un représentant de la demanderesse.

La Cour d’appel énonce l’obligation de franchir deux étapes pour permettre à une partie d’être relevée de son défaut d’inscrire selon 110.1 C.p.c. :

  1. Première étape: La partie doit démontrer son impossibilité, en fait, d’agir dans le délai prescrit :
    • Il s’agit non pas d’une impossibilité qui résulte d’un obstacle invincible et indépendant de la volonté de la partie défaillante, mais d’une impossibilité « relative » – application de St-Hilaire c. Bégin, [1981] 2 R.C.S. 235, par. 86 ;
    • L’impossibilité d’agir est celle de la partie elle-même et non celle de son procureur, même si ce dernier commet une négligence grossière – application de Cité de Pont-Viau c. Gauthier, [1978] 2 R.C.S. 526 (note 1, p. 527) + Québec (Sous-ministre du Revenu c. Stever, 2007 QCCA 257, par. 5 ;
    • Le fardeau de démonstration de l’impossibilité d’agir repose sur la partie défaillante et la preuve doit être suffisamment « claire et convaincante » pour satisfaire au critère de la balance des probabilités – application de H. c. McDougall, [2008] 3 R.C.S. 41, par. 46 ;
  2. Deuxième étape: Le tribunal doit exercer son pouvoir discrétionnaire en suivant les considérations pertinentes dont les principales sont les suivantes :
    • Le préjudice résultant de la décision :
      • Obligation de payer les frais résultant du désistement réputée si refus de relever du défaut d’inscrire. Ce préjudice est peu important – Genest c. Labelle, 2009 QCCA 2438, par. 44-48 ;
      • Perte de droits résultant de la prescription par la partie défaillante – perte du bénéfice de la prescription par l’autre partie (préjudice à double sens) ;
    • Le caractère apparemment sérieux du recours : Ce critère est relié au préjudice relié à la prescription du recours. La requête pour être relevé du défaut devrait être rejetée si le recours ne présente pas une chance raisonnable de succès, est manifestement sans fondement ou est futile ;
    • Le temps écoulé depuis l’expiration du délai. Il se divise en deux périodes :
      • Celle entre la date limite pour inscrire et celle où le retard est constaté : Ce délai est justifié si sa durée est compatible avec l’erreur alléguée ;
      • Celle entre la date de constatation de l’erreur et la date de signification de la requête : cette période doit être « très courte » ;
    • Le comportement à l’égard du déroulement de l’instance – deux types :
      • L’erreur de bonne foi, qui peut résulter d’une négligence, même grossière. Exemple : L’omission d’inscrire la date limite pour inscrire à l’agenda ou l’inscription d’une date erronée ; l’ignorance de la nécessité d’inscrire à l’intérieur du délai de 180 jours ; la croyance erronée d’avoir produit l’inscription ;
      • La négligence grave, désorganisation générale ou insouciance à l’égard du déroulement de l’instance. Ce type de comportement entraîne le rejet de la requête.
        • À l’inverse, si ce comportement émane de la partie adverse, le tribunal serait bien fondé d’accueillir la requête ;
        • Si la partie elle-même ignore les manquements de son procureur, il s’agit d’un facteur atténuant et il lui appartient d’en faire la preuve (par affidavit) ;

En l’espèce, la Cour estime que la première étape est franchie puisque l’impossibilité d’agir résulte d’une erreur de l’avocat qui aurait omis de noter à son agenda la bonne date d’expiration du délai pour inscrire. Cependant, cette erreur peut être prise en compte dans le cadre des considérations pertinentes à l’exercice de la discrétion judiciaire du tribunal dans la deuxième étape. La Cour estime que le tribunal de première instance a bien exercé sa discrétion en rejetant la requête pour les motifs suivants :

  1. Critère 2a)ii) : La réclamation n’est pas prescrite, sauf pour une petite partie qui concerne une réclamation concernant la perte de revenus bruts, dont le sérieux est questionnable puisque seule la perte de profit peut être réclamée (critère 2b)) ;
  1. Le délai couru entre le 26 juin (date prescrite par le tribunal pour faire signifier une requête écrite pour être relevé du défaut d’inscrire) et le 17 juillet, date où la requête est signifiée, est inexpliqué ;
  1. Il y a négligence grave, désorganisation générale ou insouciance à l’égard du déroulement de l’instance (Critère 2d)ii)), en ce que :
    • Les engagements souscrits n’ont pas été fournis dans le délai prévu à l’échéancier (31 août), malgré 3 lettres à cet effet demeurées sans réponse. Une partie des engagements seulement est transmise le 17 octobre et ne seront jamais tous transmis ;
    • Trois lettres requérant les disponibilités des procureurs pour faire trancher les objections demeurent sans réponse ;
    • La veille de l’expiration du premier délai pour inscrire, une requête en prolongation est signifiée et la gestion particulière de l’instance, qui devait être discutée lors du débat sur les objections le 5 février 2013, ne le sera pas ;

La date du 21 juin 2013 inscrite à l’agenda comme date ultime d’inscription est une erreur de taille « qui s’inscrit dans ce contexte global de gestion insouciante de l’instance et du dossier ». Note : la partie elle-même admet l’insouciance de son procureur qui aurait été congédié du cabinet d’avocats où il exerçait. La Cour estime que même s’il s’agit du manque de diligence du procureur, et non de la partie elle-même, l’imposition d’une sanction – même sévère – se justifie – application de Genest c. Labelle, 2009 QCCA 2438 (par. 39) et de 6270791 Canada inc. c. Cusacorp Management Ltd., 2010 QCCA 1814 (par. 37). La Cour ajoute que la partie elle-même est responsable du délai puisqu’elle « était trop occupée pour fournir les réponses aux engagements. ».

Sur la question spécifique du pouvoir de révision de la Cour d’appel :

  1. Au sujet de la première étape : Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit, assujettie à la norme de l’erreur manifeste et dominante à moins que le juge de première instance n’ait commis une erreur de principe ou de droit isolable, auquel cas l’erreur peut constituer une erreur de droit (par. 18) ;
  1. Au sujet de la deuxième étape : la décision n’est révisable que si elle est abusive, déraisonnable ou non judiciaire, i.e. fondée sur des considérations erronées, et commande une grande référence (par. 23) ;

En l’espèce, la juge de première instance n’a pas rendu une décision abusive ou fondée sur des considérations erronées et l’appel doit échouer.

Conclusion : La négligence de l’avocat est tantôt source de perte de droit, tantôt non, selon l’appréciation de critères dans le cadre du pouvoir discrétionnaire du tribunal certains facteurs sont pondérés les uns par rapport aux autres. Il convient de noter un durcissement des tribunaux à l’égard des demandes pour être relevé du défaut d’inscrire, et la partie elle-même doit être pratiquement irréprochable dans la conduite de son dossier. En l’espèce, la non-prescription du recours et la négligence de la partie elle-même à fournir des engagements ont joué contre elle.

** Les articles précités sont ceux du Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C-25.

 


Source : 2949-4747 Québec inc. c. Zodiac of North America inc., 2015 QCCA 1751 (le 21 octobre 2015).

Me Alain Barrette

UNE PASSOIRE À SPAGHETTI À L’ORIGINE D’UN DÉBAT SUR LES CHARTES

Par : Me Alain Barrette

Qu’est-ce que qu’une religion au sens des chartes canadienne et québécoise des droits et libertés? C’est cette question qu’un membre de la « Church of the Flying Spaghetti Monster » a tenté de poser à la Cour supérieure. Qualifiant la question de frivole dans le contexte ci-après décrit, la Cour déclare abusive la procédure présentée devant elle.

La « Church of the Flying Spaghetti Monster », ou pastafarisme, se décrit comme étant une religion monothéiste dont la divinité est le Monstre de spaghettis volant, qui a créé l’univers après avoir trop bu. Son fondateur, un américain du nom de Bobby Henderson, veut démontrer par l’ironie et la dérision, l’absurdité de l’enseignement de la théorie du dessein intelligent (dérivé du créationnisme), dans les écoles publiques des États-Unis, et par extension le caractère absurde des religions en général. Le mouvement comporte ses dogmes, fêtes, croyances et préceptes, qui sont des parodies de dogmes existants dans les principales religions monothéistes. À titre illustratif, un de ces dogmes veut que les premiers habitants de la Terre soient de gentils pirates distribuant des bonbons aux enfants. Les adeptes du pastafarisme portent des insignes de leur foi sur la tête, soit un tricorne de pirate ou une passoire à spaghetti.

La demanderesse veut faire reconnaître son droit de porter un tricorne ou une passoire sur la tête lors de la prise de la photo d’identité de son permis de conduire. Ce droit aurait déjà été reconnu en Autriche, en République Tchèque et au Massachusetts. Le juge Stéphane Sansfaçon j.c.s. ne l’a pas vu de cet œil.

Outre la question du défaut d’intérêt (la requérante ayant obtenu que sa photo soit finalement prise et acceptée par la SAAQ avec le port d’un voile (insigne reconnue chez les pastafariens en raison de son port par une reine pirate des temps jadis)), le juge questionne la démarche sur le plan de la frivolité du recours et de l’utilisation inappropriée, voire abusive, des tribunaux. Est-ce que la question soumise à la Cour justifie la tenue d’un débat ayant pour but de démontrer le sérieux de cette dite religion et, par conséquent, l’atteinte à un droit fondamental garantie par les chartes, à savoir la liberté de religion et de croyance? Le juge est d’avis que non.

Premièrement, le juge considère qu’aucune question sérieuse de charte n’est soumise à la Cour et que la requérante banalise les droits et libertés protégés par les chartes, jusqu’à les rendre insignifiants (Réf. : Dorval (Ville de) c. Provost, J.E. 94-1664).

Deuxièmement et en dernier lieu, le juge souligne que les ressources judiciaires sont limitées et devraient être utilisées pour résoudre des questions autrement plus sérieuses que celle à savoir si la demanderesse peut se faire photographier portant une passoire à pâtes ou un tricorne de pirate. Le juge souligne même le fait qu’un avocat ait accepté de judiciariser le litige « malgré le ridicule de la situation » (par. 16).

Cette décision, permet d’éviter un débat qui est davantage de nature à être tenu devant une autre tribune qu’une cour de justice. Comment un juge, dans le contexte de cette affaire particulière, pouvait sérieusement consacrer du temps de la cour à essayer de déterminer ce qui constitue une religion ou non, et de décider si des restrictions de la nature de celles en litige (photographie sans couvre-chef sauf pour des motifs religieux) sont justifiables ou non, en regard des croyances, qui n’en sont pas réellement vu qu’elles servent à en critiquer d’autres en les pastichant?

La décision n’a pas été portée en appel.

 


Source : Narayana c. Société de l’assurance automobile du Québec, 2015 QCCS 4636 (le 6 octobre 2015).