Me Alain Barrette

UNE PASSOIRE À SPAGHETTI À L’ORIGINE D’UN DÉBAT SUR LES CHARTES

Par : Me Alain Barrette

Qu’est-ce que qu’une religion au sens des chartes canadienne et québécoise des droits et libertés? C’est cette question qu’un membre de la « Church of the Flying Spaghetti Monster » a tenté de poser à la Cour supérieure. Qualifiant la question de frivole dans le contexte ci-après décrit, la Cour déclare abusive la procédure présentée devant elle.

La « Church of the Flying Spaghetti Monster », ou pastafarisme, se décrit comme étant une religion monothéiste dont la divinité est le Monstre de spaghettis volant, qui a créé l’univers après avoir trop bu. Son fondateur, un américain du nom de Bobby Henderson, veut démontrer par l’ironie et la dérision, l’absurdité de l’enseignement de la théorie du dessein intelligent (dérivé du créationnisme), dans les écoles publiques des États-Unis, et par extension le caractère absurde des religions en général. Le mouvement comporte ses dogmes, fêtes, croyances et préceptes, qui sont des parodies de dogmes existants dans les principales religions monothéistes. À titre illustratif, un de ces dogmes veut que les premiers habitants de la Terre soient de gentils pirates distribuant des bonbons aux enfants. Les adeptes du pastafarisme portent des insignes de leur foi sur la tête, soit un tricorne de pirate ou une passoire à spaghetti.

La demanderesse veut faire reconnaître son droit de porter un tricorne ou une passoire sur la tête lors de la prise de la photo d’identité de son permis de conduire. Ce droit aurait déjà été reconnu en Autriche, en République Tchèque et au Massachusetts. Le juge Stéphane Sansfaçon j.c.s. ne l’a pas vu de cet œil.

Outre la question du défaut d’intérêt (la requérante ayant obtenu que sa photo soit finalement prise et acceptée par la SAAQ avec le port d’un voile (insigne reconnue chez les pastafariens en raison de son port par une reine pirate des temps jadis)), le juge questionne la démarche sur le plan de la frivolité du recours et de l’utilisation inappropriée, voire abusive, des tribunaux. Est-ce que la question soumise à la Cour justifie la tenue d’un débat ayant pour but de démontrer le sérieux de cette dite religion et, par conséquent, l’atteinte à un droit fondamental garantie par les chartes, à savoir la liberté de religion et de croyance? Le juge est d’avis que non.

Premièrement, le juge considère qu’aucune question sérieuse de charte n’est soumise à la Cour et que la requérante banalise les droits et libertés protégés par les chartes, jusqu’à les rendre insignifiants (Réf. : Dorval (Ville de) c. Provost, J.E. 94-1664).

Deuxièmement et en dernier lieu, le juge souligne que les ressources judiciaires sont limitées et devraient être utilisées pour résoudre des questions autrement plus sérieuses que celle à savoir si la demanderesse peut se faire photographier portant une passoire à pâtes ou un tricorne de pirate. Le juge souligne même le fait qu’un avocat ait accepté de judiciariser le litige « malgré le ridicule de la situation » (par. 16).

Cette décision, permet d’éviter un débat qui est davantage de nature à être tenu devant une autre tribune qu’une cour de justice. Comment un juge, dans le contexte de cette affaire particulière, pouvait sérieusement consacrer du temps de la cour à essayer de déterminer ce qui constitue une religion ou non, et de décider si des restrictions de la nature de celles en litige (photographie sans couvre-chef sauf pour des motifs religieux) sont justifiables ou non, en regard des croyances, qui n’en sont pas réellement vu qu’elles servent à en critiquer d’autres en les pastichant?

La décision n’a pas été portée en appel.

 


Source : Narayana c. Société de l’assurance automobile du Québec, 2015 QCCS 4636 (le 6 octobre 2015).