Se faire justice à soi-même… ou comment perdre ses droits
Par : Me Pascale Jolivet
« Le geste criminel intentionnel […], le méfait, le sabotage commercial résultant du blocage d’accès aux produits qui étaient le fruit du travail pour lequel [un employé] était engagé et qui était issu des heures pour lesquelles il réclame paiement, constituent une fin de non-recevoir opposable à son recours » contre son employeur pour salaire et congés annuels impayés. Le fait que les actes posés l’ont été après que l’employeur se soit retrouvé en défaut n’a pas pour effet d’empêcher la non-recevabilité de l’action. Voici ce qu’a décidé l’Honorable juge Jeffrey Edwards le 29 avril dernier dans la décision Commission des normes du travail c. Groupe HMX Inc.[1] suivant les plaidoiries de Me Vincent Kaltenback de notre étude.
Dans cette affaire, l’employeur, propriétaire, administrateur et actionnaire majoritaire des trois compagnies, est partie en voyage, pour raison d’affaires, durant lequel il a demandé à ses employés, plus particulièrement à ceux qui s’occupaient de la facturation, de s’assurer que les comptes soient envoyés aux clients. Lors de son retour de voyage, la facturation n’a pas été faite et il apprend qu’il n’a pas les moyens d’émettre les chèques de paies. Il s’est donc engagé à ce que tous soient payés quelques jours plus tard qu’habituellement.
Mécontent du fait que son patron repousse la paie de quelques jours, un employé est parti avec des dossiers de l’entreprise y compris 1500 fiches clients, a effacé des données de son ordinateur et gardé des chèques-cadeaux remis par des clients. Un autre employé – la réclamation sur laquelle l’analyse du tribunal ci-dessous porte – a changé le mot de passe de son ordinateur empêchant ainsi l’accès à des documents importants de fin de projet. Dans une réunion suivant ces événements, ces employés font du chantage et affirment que rien ne sera remis tant qu’ils ne reçoivent pas de manière immédiate, le paiement de tout montant dû en plus de leur « 4% ». En bref, les trois employés demandeurs démissionnent et intentent par la suite un recours contre leur ancien employeur pour le salaire et les congés impayés.
L’Honorable juge Edwards qualifie, dans un premier temps, les actes posés par ces employés d’actes répréhensibles de loyauté et fait droit à l’argument de l’employeur selon lequel ces actes constituent une fin de non-recevoir à la réclamation intentée. En effet, il mentionne que le salarié aurait eu un nombre important de recours « pour assurer le respect intégral et sans retard de ses droits » mais qu’en décidant de se faire justice lui-même en tentant de forcer l’employeur à le payer en retenant et en s’appropriant sans droit la propriété de ce dernier, il a plutôt été privé d’exercer ses droits en justice.
À cet égard, voici quelques passages tirés de cette décision :
[45] De manière conséquente au raisonnement selon lequel la CNT, lorsqu’elle prend un recours pour le compte d’un employé, n’a pas plus de droits que l’employé, ce qui permet notamment la défense fondée sur la compensation légale, les tribunaux ont également reconnu, et cela est admis par la procureure de la CNT, que l’employeur peut valablement défaire une réclamation de la CNT, lorsque le tribunal oppose à la réclamation une fin de non-recevoir.
[46] En effet, dans l’arrêt Corporation Cité-Joie inc. c. Commission des normes du travail, la Cour d’appel s’est exprimée ainsi :
« Le dol, le mensonge ou la fausse représentation d’un salarié à son employeur constitue une fin de non-recevoir opposable au recours qu’il pourrait exercer, ou que la Commission des normes du travail pourrait vouloir exercer en son nom, contre son employeur. »
[…]
[62] C’était un acte criminel de méfait et de sabotage d’une entreprise commerciale. [L’employé] a été inculpé de cette accusation et en a été trouvé coupable. En agissant ainsi, il a saboté les oeuvres journalistiques et artistiques de son employeur en y bloquant l’accès au moment même où l’employeur en avait besoin. En se livrant à de telles actions, M. Ochoa a en réalité détruit la propriété de son employeur et de même, il a rétroactivement anéanti et réduit à zéro toute valeur aux heures de travail qu’il réclamait ainsi qu’à certaines heures de travail passées, y compris des semaines d’ouvrage pour lesquelles il a été payé.
Le tribunal refuse de banaliser ou de minimiser les actes de sabotage et de vandalisme des biens appartenant à l’employeur puisque sa mission est « de veiller à une société régie par la règle du droit et non par la loi de la jungle ». Il rejette également l’argument de la Commission des normes du travail selon lequel la fin de non-recevoir peut uniquement sanctionner et paralyser une créance née après le geste répréhensible et non avant, cette interprétation étant « indûment restrictive et contraire aux autorités applicables de la jurisprudence et de la doctrine. Elle n’est pas conforme ni aux textes mentionnés ci-dessus décrivant le cadre juridique de ce mécanisme judiciaire, ni à l’esprit que véhicule cette sanction judiciaire. Tel que mentionné, cette sanction est fondée sur l’exigence de la bonne foi, la faute importante de celui dont le recours est paralysé et la discrétion judiciaire » (par. 71).
En conclusion et pour les raisons précitées, le tribunal n’a pas fait droit à sa réclamation pour les heures impayées, mais a tout de même accordé une indemnité pour congé annuel, soit le 4% du salaire gagné.
[1] Commission des normes du travail c. Groupe HMX inc., 2015 QCCQ 3403.